Le GENEPI s'exprime : "Pour en finir avec la surenchère carcérale"

24/11/2011 10:00

Point de vue | LEMONDE.FR | 16.11.11 | 16h32  

La campagne présidentielle s'engage, les propositions de politique pénale des différents candidats se profilent et le président de la République promet, le 13 septembre, la construction de 30 000 places de prison pour atteindre 80 000 places en 2017. L'annonce présidentielle semble frappée au coin du bon sens : une augmentation de la délinquance et la sévérité des juges justifieraient qu'il y ait toujours plus de personnes détenues mais, loin de baisser la garde pour cause de surpopulation carcérale, l'État continuera à incarcérer davantage et, pour le faire dignement, il construira des prisons.

Mais pourquoi 80 000 places ? Ce chiffre ne s'appuie sur aucune étude sérieuse. Tout ce que l'on sait, c'est qu'au 1er juin dernier, il y avait 64 971 détenus pour 56 109 places. Fortes de leur expérience, de leur réflexion et de leur action de terrain, nos associations se doivent de rappeler que le choix de tout miser sur la construction de places de prison n'est étayé par aucune analyse des causes réelles de la surpopulation carcérale. Sans parler du coût exorbitant de la mesure (qui se chiffre en milliard d'euros), son efficacité est plus que douteuse dans le contexte d'inflation carcérale que nous connaissons depuis plus de 30 ans (malgré une nette mais brève déflation à la fin des années 90) : les 80 000 places annoncées correspondront-elles aux "besoins"? Faudra-t-il un nouveau programme dans 5 ans ? Le problème est d'ailleurs posé à l'envers : l'évolution de la population carcérale est une conséquence de la politique pénale et non pas une donnée intangible que cette politique doit prendre en compte. De nombreuses études et exemples étrangers nous apprennent que la population carcérale résulte des choix de politique pénale et non pas du niveau de la délinquance; c'est contraire au bon sens, mais c'est la réalité.

 

Soyons clairs : si l'on estime qu'il faut constr uire plus de prisons, c'est qu'on souhaite enfermer plus.
L'annonce de M. Sarkozy constitue un choix politique important, un choix de société. Avant de nous engager dans une telle voie, posons-nous quelques questions : Comment se fait-il qu'entre toutes les options possibles, on ait choisi la plus coûteuse économiquement et socialement : le tout carcéral ? Quel a été l'effet des lois pénales récentes, souvent contradictoires, depuis les peines plancher jusqu'à la loi pénitentiaire ? Des études d'impact ont-elles été menées à ce sujet ? Comment se fait-il qu'on affecte de tels moyens à la construction de prisons alors qu'on n'a pas su renforcer le milieu ouvert dont l'insuffisance de moyens est chronique ? Le développement de la gestion des prisons déléguée au privé – dispositif dont la Cour des comptes dénonçait en 2010 le manque d'évaluation – a-t-il quelque chose à y voir ? La dégradation de la situation sociale des publics les plus fragiles est-elle pour quelque chose dans cette situation ?

Certes, le discours sur l'enfermement est plus efficace électoralement que celui, plus complexe, plus exigeant, sur les prises en charge en milieu libre. On sait pourtant l'efficacité de ces dernières sur la prévention à moyen et long terme de la délinquance et de la récidive. Mais après l'affaire de Pornic, il fallait frapper les esprits, mettre en avant les "80 000 peines de prison en attente d'exécution" et la nécessité de créer "30 000 places supplémentaires d'ici 2017", et préconiser une loi de programmation relative à l'exécution des peines. C'est ce qu'a fait le président de la République s'inspirant du rapport Ciotti. Du moins M. Ciotti proposait-il de développer la semi-liberté et les placements extérieurs, ce qui a disparu de l'annonce présidentielle.

La priorité, au moins au niveau des annonces, est faite au "dur", aux murs, à l'enfermement : séparation entre récidivistes et non récidivistes, développement des structures d'évaluation des personnes détenues... Si les deux mesures semblent de bon sens, la première se révèle en fait peu pertinente tandis que la seconde nous interroge dans la mesure où elle se limiterait essentiellement à la dangerosité, concept flou, ambigu, conduisant à des impasses juridiques et humaines comme celles où s'est engouffrée la loi sur la rétention de sûreté. Souvenons-nous des recommandations, restées sans suites, de la Cour des comptes ou du Conseil supérieur de la magistrature sur la nécessité de développer le recours au savoir criminologique pour mieux comprendre et agir.

La vie en prison, question décisive pour l'"après-prison", ne fait pas partie de ces priorités : plus aucune référence aux règles pénitentiaires européennes et rien, ou presque, n'est dit des problématiques de formation, de travail, sur la vie collective en prison ou le maintien des liens avec l'extérieur.

Une politique pénale ne se définit pourtant pas que par les moyens de la justice et du parc pénitentiaire. Elle requiert beaucoup de monde, des professionnels aux bénévoles, oeuvrant, avec l'aide de l'État et des collectivités locales, dans toutes sortes de domaines : santé, éducation, formation, et pas seulement en prison ! Assister à une audience de n'importe quel tribunal correctionnel, échanger avec n'importe quel intervenant en prison suffit pour constater les dégâts de l'alcoolisme, de la toxicomanie, du chômage, des troubles psychiatriques non traités en amont. Autant de causes profondes de la délinquance ordinaire qui sont encore à explorer.

On ne peut pas à la fois construire 30 000 places de prison et améliorer l'accompagnement des personnes détenues. Nous sommes donc face à un choix, choix trop important pour être tranché à coup de populisme pénal : nous appelons de nos voeux un large débat public sur les questions pénales et entendons y prendre part. Construire plus de prisons ne constitue à notre avis qu'une fuite en avant ; nous demandons à l'inverse l'instauration d'une politique pénale réductionniste qui, loin de faire preuve de laxisme, développerait résolument des mesures comme la libération conditionnelle et les sanctions non privatives de liberté – les mieux à même d'assurer la prévention de la récidive – tout en poursuivant la rénovation – et non l'extension – du parc pénitentiaire afin qu'il respecte les règles pénitentiaires européennes.

Alain Blanc, magistrat, président de l'Association Française de Criminologie – AFC,
Benoît Ballenghien et Jean-Marie Seffray, vice-présidents de l'Association Nationale des Visiteurs de Prison – ANVP,
Alexis Saurin, président de la Fédération des Associations Réflexion-Action Prison Et Justice – FARAPEJ,
Manon Veaudor, présidente du Groupement Étudiant National d'Enseignement aux Personnes Incarcérées – GENEPI.

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